Par Monique-Rachel Kesseng – journaldebrazza.com
Écrivaine congolaise, l’auteure en est à sa quatrième publication «L’Instinct de survie», aux Editions Jets d’Encre, où elle parle du viol et de la souffrance des albinos. Entretien.
Pourrais-tu te présenter pour les lecteurs de journadebrazza.com ?
Je m’appelle Eveline Mankou, je suis née à Dolisie au Congo. J’ai passé mon enfance et mon adolescence à Brazzaville, d’où je suis partie en 1996, juste après le Bac pour Abidjan en côte d’ivoire, où j’ai passé 3 ans dans une école de commerce, après je suis arrivée en France, à Nice en 1999
Pour poursuivre tes études ?
Pour la découverte et pour chercher également la stabilité ailleurs, parce que le Congo n’était pas un pays très stable dans les années 90. Je suis restée à Nice jusqu'en 2005, l’année où ma première nouvelle a été publiée et puis j’ai eu la bougeotte, j’ai ressenti le besoin de découvrir un peu, j’ai commencé à voyager et je suis tombée amoureuse de Londres où je passe beaucoup de temps
L’instinct de survie n’est pas ton premier ouvrage - Combien d’écrits as-tu publié avant?
Ma première nouvelle La patience d’une femme a été éditée à Nice en 2005. C’est un peu autobiographique, mais pas tout à fait – En réalité je ne suis pas très patiente comme femme (Rires Ndlr) j’apprends à le devenir. C’est une histoire qui peut concerner toutes les femmes. L’héroïne est une femme, c’est un modèle de courage et les femmes surtout africaines sont très courageuses, elles savent endosser les choses. Le thème de ce livre est autour de l’immigration et des difficultés en Afrique. S’en est suivi un deuxième en 2010 - ça aurait pu être le même en fait puisse qu'il tourne aussi autour de l’immigration – C’est un recueil de dix nouvelles intitulé: La misère humaine, à savoir qu'est-ce qui pousse les africains à quitter le continent et aller chercher la vie ailleurs ? Et Comment ils vivent une fois qu'ils sont arrivés dans cet ailleurs
Pourquoi cette emphase sur le thème de l’immigration ?
Déjà en tant qu'immigrée, quand on arrive - celui que l'on trouve - le voisin, ou l’autochtone… il ne vous comprend pas, il se contente de ce qu’il voit à la télévision ou de ce qu'il entend. C’était une manière pour moi de dire voilà pour ceux qui veulent comprendre pourquoi je suis venue, lisez un peu pour voir
C’était donc une sorte d’exutoire?
C’est un peu abusé de parler d’exutoire, parce que mes nouvelles restent de la fiction, ce ne sont pas des histoires réelles. C’est vrai que quand on me lit, on peut avoir l’impression que ce sont des témoignages, mais pas du tout ! Les personnages n’existent pas, c’est de la fiction, basée sur des faits qui peuvent être réels
Et ton aventure littéraire ne s’arrête pas là…
Effectivement. En 2011, j’ai censuré, je me suis dit que j’avais dit ce que j’avais à dire sur ce thème de l’immigration et que je devais passer à autre chose, être un peu «folle» et donc j’ai fait parler un fœtus, dans dialogue imaginaire et imagé entre la mère et le fœtus
On reste néanmoins toujours dans un registre et des thèmes qui font appel à l’affect pourquoi ?
Parce que quand j’observe la société, je suis complètement touchée, je ne suis pas insensible et du coup, j’ai envie - peut-être pas de faire changer les choses, parce que un seul doigt ne peut pas nettoyer le visage - mais j’ai envie d’être parmi les cinq doigts qui vont nettoyer le visage. J’aime bien l’effet réel. Du coup: dialogue imaginaire et imagé entre la mère et le fœtus. Qui parle d’une jeune femme trentenaire – qui pourrait être moi aussi, (Rires Ndrl.) Cette femme n’a pas de couleur, c’est une femme actuelle du 21e siècle, qui doit savoir tout faire. Etre belle, intelligente, se marier, élever des enfants… Ce n’est pas évident parce que ce n’est pas un robot et elle est enceinte. C’est pour mettre un peu ces difficultés en exergue, je fais parler le fœtus
Qu'est-ce qui te passionne dans l’écriture?
J’écris parce que c’est une sorte de thérapie personnelle, parce que, ce que je ne peux pas dire, je l’écris. «J’apprends à parler» et ça n’a pas toujours été le cas. L’écriture est aussi un moyen d’exorciser, un cri du cœur, un moyen d’expression. Mais c’est également une passion que je nourris depuis mon adolescence
Parlons de «L’Instinct de survie». J’avoue que j’ai personnellement beaucoup aimé l’intrigue. Qui est Mady?
Mady n’existe pas. Cette fillette représente toutes les petites filles qui se font violer en Afrique, surtout en RDC, où on entend beaucoup parler de nombreux viols ces derniers temps. Ou en Inde où un cas de viol a récemment fait la Une de l’actualité… Mady ça peut être toutes ces filles
Dans cette nouvelle tu parles du viol, de la stigmatisation des albinos, du bannissement par la famille etc… des pratiques dont on entend encore malheureusement parler aujourd'hui et que certaines traditions ancestrales ou la superstition peuvent encourager… comment parviens tu à aborder tous ces thèmes dans une fiction?
C’est vrai que sur cette nouvelle L’Instinct de survie, l’actualité a beaucoup joué. Il y a une anecdote sur ce livre. J’ai commencé à l’écrire à Nice en 2010, mais soudain je n’en avais plus du tout envie, l’inspiration ne venait plus. Et l’hiver dernier je suis allé à New-York avec ma sœur et dans le métro, j’ai vu un couple d’albinos qui était vraiment très beau. Et je me suis dit ce n’est pas vrai ! – quand je pense qu’en Afrique et particulièrement moi-même quand j’étais gosse, quand on voyait des albinos, c’était la panique à bord, il fallait faire des rites, arracher des cheveux, cracher par terre etc… et j’ai eu un déclic et là j’ai su comment j’allais orienter l’histoire
Finalement tu fais surtout vibrer la corde sensible pour avoir de l’inspiration?
Exactement. J’ai vu ce couple d’albinos et ça m’a parlé. Mais je m’inspire aussi beaucoup de mes souvenirs en Afrique. J’ai été élevée en partie par ma grand-mère et il y a plein de choses que j’ai reçu d’elle et ça me sert beaucoup
C’était important pour toi de terminer sur une note d’espoir à la fin de cette nouvelle?
Ma foi oui. C’est comme dans les contes de Fée, parce que même dans un malheur, il peut y avoir un côté positif, quelque chose à tirer, ne serait-ce qu’une leçon. Pour revenir à l’histoire, c’était une manière de dire qu’un albinos a d’autres problèmes plus génétiques que spirituels et qu’il peut réussir et vivre normalement comme tout le monde
Tu parles aussi beaucoup de l’école. Comment peut-elle contribuer de ton point de vue à lutter contre certaines traditions bien ancrées, mais novices?
C’est très important et la fin du livre justement le fils de Mady va construire une école dans son village. Je pense que l’école peut apporter beaucoup, sans renier la tradition africaine, il vaut peut-être aussi l’adapter parce que le monde avance. Ce livre est un appel à l’instruction, un plaidoyer pour qu'on arrête de maltraiter les albinos et dénoncer aussi le viol de femmes qui n’est plus acceptable aujourd'hui et il faut plus de voix pour le dire
Est-ce que tes ouvrages sont disponibles au Congo?
Ce n’est pas évident, surtout quand on est un auteur qui n’a pas de notoriété. Si je dois être distribué au Congo, je devrais le faire par mes propres moyens et actuellement je ne peux pas. Donc on compte sur vous pour faire passer le message