En ouvrant mon mail ce matin-là, je trouve un message d’un expéditeur inhabituel. Tiens ! Je dis. Je prends connaissance avec empressement du contenu. Après les formules de politesse, mon expéditeur me demande la confirmation de mon adresse car, il a un livre à me faire parvenir.
Ah, les livres ! Comment sait-il que j’adore ça ? Et hop ! En un clic, mes coordonnées sont envoyées. Quelques jours plus tard, moins d’une semaine, l’œuvre était entre mes mains.
À l’instant où je parcours la quatrième de couverture, je suis surprise et pour cause, l’expéditeur n’est pas l’auteur de l’ouvrage. Malgré cela, ma motivation demeure intacte et c’est avec entrain que je me jette sur l’intrigue, ou plutôt sur les intrigues de cette œuvre particulière.
Titre du livre : Fantasmons ensemble un instant dans un SNOPRAC
Auteur : Benoît Moundélé-Ngollo
Editions : Hémar 2013
Nombre de page : 180
Dans une librairie, on ne saura dans quel genre littéraire classer le dernier livre de Benoît Moundélé-Ngollo. Est-ce un roman ? Un essai ? Un recueil de nouvelles ? Une autobiographie ? Ou les quatre à la fois ? L’auteur outrepasse le formalisme et brise les codes rituels du classicisme de la littérature.
Dès l’avant-propos, l’auteur se justifie. Il doute quant à son style controversé. C’est l’impression qui se dégage d’emblée.
Le livre s’ouvre sur les « Pensées du jour ». C’est une suite de pensées sur plusieurs pages, sous forme tantôt de proverbe, tantôt de réflexions à connotation parfois biblique. Elle s’apparente aux confidences d’un sage.
Viens ensuite ce qu’on pourrait qualifier d’une série de Nouvelles. La première est une Nouvelle épistolaire intitulée : « Plus jamais ça. La complainte d’un citoyen sinistré ».
Ici, un citoyen exprime sa colère. Il maudit son concitoyen pilleur qui a saccagé sa vie, suite aux nombreux malheureux évènements auxquels les congolais ont fait face d’abord le 5 juin 1997, mais surtout le 4 mars 2012.
page 19 : « Pendant que je ramassais mes membres épars, pour les racoler à mon torse mutilé, tu venais de nuit avec une torche récupérer, dans les décombres de ma masure qui était soufflée par la violence des explosions, quelques bricoles épargnées par l’enfer, qui ce matin-là m’était tombé brusquement sur la tête…comme le chacal, le coyote, l’hyène… tu écumais les quartiers démolis qui exhalaient des odeurs…à la recherche de quelque résidus qui, comme toujours te permettent de faire le sou et rien que le sou… Maudit ! Que tu sois maudit !!! »
S’en suit la deuxième Nouvelle, toujours sous forme épistolaire, l’auteur s’adresse aux habitants de son terroir. « Communication d’un notable Mbochi – (Mouandzol’ô pama) – aux habitants de son terroir ». Dans ce chapitre, l’auteur plonge le lecteur dans la culture Mbochi en livrant entre autre, des définitions de quelques mots et expressions comme : Ekou : (…) c’est une variante de la jalousie qui s’apparente à l’envie.
Mbêssi : (…) le mépris des autres, l’orgueil et l’arrogance (…). Mbégnahâ : (…) la tendance à penser qu’on est au-dessus des autres (…)
La lecture se poursuit avec « Où es-tu, maman ? La complainte d’un orphelin ». Cette partie est comme le dévoile son titre, un cri du cœur, un hommage d’un enfant à sa défunte mère dont la disparition a laissé un vide incommensurable et qui ne pourra jamais être comblé.
Puis, arrive le chapitre qui a le plus retenu mon attention, et ce, dès le titre : « Que ferais-je si je devenais président de république ? »
L’auteur joue avec la subtilité des mots. Il jongle avec les mots. Il s’amuse. Il emploie le terme « président de république » et non « président de la république », nuance ! Ce chapitre présente un président idéal, à l’opposé de ceux habituellement connus et qui sont à la tête des républiques bananières. Il critique avec ironie et finesse la folie des grandeurs des hommes d’Etats africains et de leur entourage, le faste de leur vie, et de tout ce qui fait la « réputation » de ces dictateurs.
L’écrivain général de l’armée, qui manie aussi bien les armes que les mots, écrit :
« (…) je chercherais à me faire élire démocratiquement sans aucune tricherie pour une période définie d’avance (5 ans par exemple). Passée cette période je me retirerais sans chercher à briguer d’autres mandats(…) »
Comme nous y invite le titre de cet ouvrage, j’ai donc « fantasmé » un peu. J’ai pensé à l’auteur et je me suis dit qu’il ferait un parfait candidat présidentiel, tant, ses écrits sont pétris de bonnes intentions.
Puis, toujours avec ce style simple, soigné et intimiste, les nouvelles se succèdent.
« La Méprise d’un froussard »
« Les Préjugés plus tenaces »
« Les Histoires de ma grand-mère »
« Un Jeu de mots Personne – Rien – Tout – Assez – Zéro »
« Il faut comprendre sans réfléchir et ne pas trop réfléchir pour comprendre »
« L’arroseur arrosé ou ma meilleure amie La réponse du berger à la bergère »
« Bon anniversaire, papa, joyeux anniversaire, pépé »
Et en annexe :
« Si j’étais Dieu le père »
« Ma meilleure amie ou les fondements d’une rupture programmée »
L’auteur ne manque pas d’originalité, Le général écrivain va même jusqu'à inventer le concept SNOPRAC (Style qui N’obéit Pas Aux Recommandations Académiques Classiques) et ainsi aller au-delà des normes littéraires.
Au fil des pages, on apprend à connaitre l’auteur et on perçoit ses tourments, ses blessures, ses peines.
Page 169 « l’auteur est parfois tourmenté et enveloppé de regrets, c’est pourquoi il tente de s’échapper contre un autre lui-même, avec une détermination incroyable… »
page 175 « tu demeures, hélas, meurtri dans ta chair – cher ami, mais, malheureusement – avec toujours cette dignité implacable ainsi que ce courage que rien n’altère en toi… »
Malgré le sentiment de règlement de comptes qu’évoque par moment ce livre, j’ai apprécié la dérision dans certains passages qui m’ont fait rire aux éclats. Le général Benoît Moundélé-Ngollo offre là un livre drôle et qui donne une vue de la société congolaise, ses mœurs, la politique et ses pratiques. Dans plusieurs passages, l’auteur laisse des indices qui poussent à s’interroger sur la part autobiographique de son œuvre.
En tournant la dernière page, j’ai abouti à la conclusion selon laquelle l’auteur est incompris. Cette sensation est très présente tout au long de la lecture.
Eveline Mankou